Robert Loup
Un épisode de la vie d'Henri Pestalozzi. Derniers jours de son épouse Anna
Ultime espérance ! Ultime déception ! En décembre 1815, elle tombe malade ; son mari est justement parti pour Lausanne... Elle faiblit chaque jour davantage, elle est seule : le soir du 12 décembre, une servante la trouve assise dans son fauteuil, la tête renversée, les yeux ternes, morte. Pestalozzi n'est plus qu'un homme gémissant, gesticulant. Il suit le cercueil comme un somnanbule qui tiendrait un saisissant colloque avec une âme invisible. La noble patricienne de Zurich est enterrée dans le jardin, entre les troncs de deux grands noyers... Les nuits suivantes, pendant longtemps, Pestalozzi s'échappe de sa chambre en secret, se glisse jusque-là, prie, parle seul, pleure à chaudes larmes.
Le pays de Marguerite Bays
Des touffes de foin, tombées des chars trop lourds, fleurissent la poussière du chemin ; le soleil de midi étincelle et crépite sur les tavaillons et les tuiles des fermes. Une ombre dure, tombant à pic de la lisière des toits, obscurcit d'un même côté les pavés des cours. La chaleur s'exhale des pierres, du bois, des prairies et vous prend aux narines avec ses parfums de grange et d'étable.
Voici le hameau : quinze à vingt maisons paysannes groupées en un carrefour que domine une croix de fer. En partant vers le Nord, vous rejoignez le chef-lieu du district, Romont, dont la colline et les tours médiévales se haussent vers le bleu papillotant du ciel. Dans le sens opposé, à une demi-heure de marche, vous découvrez le village de Prez ; à l'Est, vous montez vers Mézières ou Villaraboud, tandis qu'en prenant la direction du couchant vous atteignez Siviriez sur la hauteur. La Pierraz s'étale au fond du vallon, dans la verdure foisonnante de ses vergers ; alentour, les prés fauchés et les champs de céréales forment un damier de rectangles jaunes ou verts.
Robert Loup, Marguerite Bays, Editions St-Paul, Fribourg, 1980, p. 11.
La maison des Bays
La maison des Bays s'entoure de silence. Elle est plus basse que la grange des Ménétrey à laquelle elle s'accote ; son toit, moins incliné, s'orne à la lisière, le long du chéneau, d'une planche étroite et festonnée. C'est une humble demeure, d'une simplicité toute rustique, avec ses planches et ses poutres brunies, avec son air chétif et noble à la fois, son ancienneté qu'animent les rideaux blancs de croisées, son rang des géraniums sur une planche au-dessus des fenêtres, et le sourd ruminement des vaches. Elle comprend les deux parties nécessaires et traditionnelles, car le paysan vit sous le même toit que ses serviteurs les bêtes. De hauts vantaux s'ouvrent sur l'aire de la grange. Un bûcher à claire-voie s'avance en encorbellement au-dessus de l'étable dont la porte, poussée vers l'intérieur, laisse échapper l'odeur humide et lourde des litières. Un banc de bois règne dans toute la longueur du rez-de-chaussée.
La disposition de cette demeure est aussi claire que la vie - semble-t-il - de ceux qui l'habitent. Un corridor traverse la maison ; deux chambres donnent sur le devant, deux autres sur les prés : la plus petite au fond et la plus retirée appartient à Marguerite, la soeur des fermiers Bays.
Robert Loup, Marguerite Bays, Editions St-Paul, Fribourg, 1980, p. 12-13.